« C’est beaucoup plus sécurisant » : en Suisse, une plateforme web de prostitution est soutenue par le gouvernement

Article paru sur francetvinfo.fr, le 7 novembre 2018

Call me to play est un site gratuit d’annonces de services sexuels lancé par des associations de défense des travailleurs du sexe et subventionné par des organismes gouvernementaux. Lesquels misent sur la prévention, dans ce pays où la prostitution est légale.

Depuis lundi, les locaux de l’association Aspasie, à Genève, reçoivent chaque jour des travailleuses et travailleurs du sexe pour parler de leur métier. C’est même obligatoire. L’idée ? Informer les personnes exerçant la prostitution sur leurs droits et devoirs, ainsi que faire de la prévention sur les risques propres à la profession. Et c’est plus qu’un simple cours, selon Pénélope Giacardy, coordinatrice d’Aspasie :

« La prostitution n’est pas honteuse. Nous défendons le droit de chacun à disposer librement de son corps. » Pour garantir ce droit, ainsi que la sécurité physique et psychologique des travailleurs du sexe, les associations Fleur de Pavé (Vaud) et Aspasie (Genève), ont lancé en Suisse, le 30 octobre, la plateforme Call me to play. L’objectif ? « Proposer aux clients et aux escorts un lieu de rencontre sur internet qui soit sécurisé et entièrement gratuit, tout en replaçant au centre de la relation les notions de sécurité, de consentement, de légalité », précise Zoé Blanc-Scuderi, en charge du projet.Soutenu financièrement par divers organismes gouvernementaux suisses, comme la Fedpol et l’Office fédéral de la santé publique, le site entend briser le tabou autour de la prostitution sur le web.

« Nous sommes partis d’un constat : isolées derrière leurs écrans, les personnes qui proposent des services sexuels sur internet sont livrées à une certaine solitude. Elles ne sont pas approchées par les associations, n’ont pas de soutien direct. » Pour briser cette exclusion, les associations Fleur de pavé et Aspasie, qui défendent les droits des travailleurs du sexe, ont l’idée en 2016 de créer la plateforme Call me to play. Deux ans plus tard, le site web est mis en ligne, avec le soutien de l’Aide suisse contre le sida. « Tous les travailleurs du sexe de plus de 18 ans peuvent s’y inscrire de manière gratuite, dans l’anonymat le plus complet »,, détaille Zoé Blanc-Scuderi.

Comme sur n’importe quel site, le client peut choisir le type de prestations qu’il souhaite, et entrer en relation avec des prostituées ou des prostitués. Mais contrairement aux plateformes déjà existantes, Call me to play propose un onglet « Informations », dans lequel les utilisateurs peuvent retrouver de nombreuses indications concernant les services sexuels proposés. 

« Nous mettons à disposition des informations sur la santé, le cadre légal de la prostitution en Suisse, les conditions de travail. On explique par exemple comment réagir en cas de rupture de préservatif, ou on rappelle que même les rapports préliminaires peuvent être dangereux sans protection », explique Zoé Blanc-Scuderi. Afin de toucher un public large, le site est traduit en anglais, en espagnol, en hongrois et en roumain.

«Cela permet une forme d’éducation et de communication qui est géniale, parce que beaucoup de travailleurs du sexe et de clients ne sont pas forcément au courant des risques encourus pour chaque type de rapport.»

Alex*, travailleuse du sexe inscrite sur Call me to play à franceinfo

Alex*, travailleuse du sexe française exilée en Suisse, travaille avec la plateforme depuis son lancement, il y a une semaine. « Lorsque j’ai créé mon profil, j’ai indiqué les prestations que je proposais. En fonction des critères, le site nous prévient si nous avons un comportement à risques ou non, via un barème de couleur. Du petit onglet vert si nous utilisons des protections à chaque rapport au macaron rouge si nous proposons des relations non protégées », explique-t-elle.

La plateforme propose également un forum réservé aux professionnels, qui peuvent échanger sur les risques liés à leur métier, ou les clients à déconseiller. « Je trouve ça très bien, notamment pour sortir de l’isolement celles et ceux qui n’ont personne à qui parler », témoigne Alex. La jeune femme, qui a fait le choix de parler librement de sa profession à ses proches, admet qu’elle est une des rares à assumer son métier. « Le forum permet à ceux qui sont seuls de se confier, de poser des questions sur la législation ou les pratiques sexuelles, dénoncer des comportements malveillants ou tout simplement apporter des anecdotes positives. »

Afin de se rapprocher des travailleurs du sexe en situation de détresse, le site met également en ligne le contact direct des associations de soutien aux professionnels. « C’est bête, mais certains ne savaient même pas que des associations existaient pour les aider. Sur Call me to play, ils peuvent trouver notre contact en quelques clics. On a recréé du lien social », souligne Zoé Blanc-Scuderi.

Des subventions gouvernementales

Financé par les subventions de différentes organisations gouvernementales, comme l’Office de la santé publique suisse et la Fedpol (l’Office fédéral de la police), le site est gratuit. « Cela permet aux professionnels d’acquérir une certaine indépendance. Ils ne sont plus obligés de passer via des plateformes privées, qui demandent parfois plus de 150 euros pour une inscription, et qui s’en mettent plein les poches sur le dos des travailleurs », commente Zoé Blanc-Scuderi. L’Office fédéral de la santé publique suisse et la Fedpol ont ainsi débloqué 90 000 francs suisses (soit environ 79 000 euros) pour soutenir le site. « Ce soutien n’est ni nouveau, ni exceptionnel. Nous ne finançons pas un site érotique, mais bien le projet qu’il y a derrière : celui de la prévention », précise Daniel Koch, responsable de la division Maladie transmissibles de l’Office fédéral de la santé publique.

Sur la base de l’ordonnance du 18 novembre 2015 sur les mesures de prévention des infractions liées à la prostitution, ces organismes peuvent ainsi participer à la protection des travailleurs du sexe. « Nous avons accepté de soutenir ce projet dans la mesure où Call me to play accompagne les travailleurs du sexe, et défend leurs intérêts », explique Thomas Dayer, chef adjoint de la communication de la Fedpol. « Il est important de les informer de leurs droits et leurs devoirs, et de les sensibiliser aux risques de violence et d’exploitation », conclut-il. Pour Alex, ce soutien n’a « pas de prix ». « Cela montre que le gouvernement suisse ne nous abandonne pas. Il y a une extrême bienveillance de la part de la police, par exemple, qui nous montre bien qu’elle est là pour nous protéger, et qu’elle n’est pas notre ennemi. »

«En France, beaucoup de travailleurs du sexe fuient la police. Ici, ils l’appellent quand ils ont besoin d’aide. Tout est différent lorsqu’ils savent qu’il y a quelqu’un pour les protéger.»

Zoé Blanc-Scuderi, cofondatrice de Call me to playà franceinfo

Ce soutien gouvernemental est « nécessaire » pour les associations. « Sans lui, nous n’aurions pas les moyens de mener ce genre d’actions, commente Zoé Blanc-Scuderi. Et d’un point de vue politique, cela montre que le travail du sexe est une profession à part entière, qui mérite une réglementation et un soutien de l’Etat. » 

La prostitution étant légale en Suisse, les professionnels sont en effet considérés comme des travailleurs indépendants. « Nous avons des espaces autorisés à la prostitution, comme des salons privés ou même certaines rues spécifiques. C’est beaucoup plus sécurisant pour les travailleurs du sexe. » Alex, qui a exercé pendant quatre ans en France, souligne cette différence « indescriptible » : « Ici, j’ai une situation sociale, une assurance-maladie, je cotise pour la retraite… Et je peux m’inscrire sur une plateforme qui met en avant mes droits. Je me sens bien plus soutenue, et bien moins stigmatisée », témoigne-t-elle.

En une semaine d’existence seulement, Call me to play comptabilise déjà une soixantaine de profils de travailleurs et travailleuses du sexe. 

* Certains prénoms ont été modifiés

«Nous accueillons les nouvelles travailleuses du sexe fraîchement enregistrées auprès des autorités mais également des personnes plus expérimentées. Ces séances sont de véritables échanges entre les intervenantes ayant souvent déjà exercé la prostitution, et les participantes.»

Dispensé en français, anglais, roumain, espagnol, portugais, hongrois, italien et allemand, le cours et le guide distribué aux participants et participantes sont le fruit de plus de deux ans de travail. Le but est aussi de donner les outils pour naviguer en toute sécurité dans les eaux troubles et parfois dangereuses du plus vieux métier du monde. Entre les IST, la violence de certains clients et le danger d’une possible exploitation, la profession expose les personnes qui l’exercent à des risques spécifiques.

«Informer, c’est donner le pouvoir. Notre but est de rendre les travailleurs et travailleuses du sexe les plus autonomes possible pour faire face aux difficultés bien connues du métier.»

Pour le moment, l’association Aspasie dit n’avoir que des bons retours sur les sessions organisées jusqu’ici. Le projet pilote devrait durer jusqu’en 2021, avant d’être soumis à évaluation.

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