COMMUNIQUÉ – Le travail du sexe est un travail

Le travail du sexe est un travail – Réitération de concepts aussi vieux que ce métier en réponse à l’évènement du Mouvement du Nid « Prostitution : ni un travail, ni du sexe ».

Le Mouvement du Nid organise un événement intitulé « Prostitution : ni un travail, ni du sexe », mobilisant le récit unilatéral d’une survivante de l’exploitation sexuelle.

Aspasie est une association engagée dans le soutien et la défense des droits des travailleursexs du sexe, et une structure de référence sur la question du travail du sexe à Genève.

Nous souhaitons exprimer ici notre vive préoccupation de voir un évènement clairement abolitionniste se tenir entre les murs d’Uni-Mail pour faire l’avènement d’une position politique dangereuse pour les droits humains des travailleursexs du sexe.

L’évènement nommé « Prostitution, ni un travail, ni du sexe », prévoit une conférence animée par une personne victime d’exploitation sexuelle, laissant dès lors présager un dangereux amalgame entre exploitation sexuelle et travail du sexe. La différence entre ces deux réalités est pourtant claire. La traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle définit par les articles 182, 195 et 199 du Code Pénal suisse implique la coercition et l’absence de consentement, tandis que le travail du sexe est une activité économique volontaire qui s’exerce par choix. Faire l’amalgame entre les deux ne fait que renforcer la stigmatisation et la victimisation des travailleursexs du sexe.

Or, la stigmatisation est le terreau des abus. Invisibiliser leur travail et décrédibiliser leur parole les isole, les marginalise et les surexpose à des violences systémiques. Aussi, nous continuons de constater grâce à de multiple études que le modèle suédois dit de « pénalisation des clients », mis en place dans son pays créateur depuis 1999 et de nombreux autres en Europe, est un vaste échec[i] :

  • Une étude d’Amnesty International souligne que la criminalisation partielle du travail du sexe expose davantage les TdS aux violences. Ielxs sont contraint.e.s de travailler dans des zones isolées ou clandestines, augmentant leur vulnérabilité aux agressions.
  • En Suède, des recherches montrent que la criminalisation des clients a rendu les TdS réticentexs à signaler des abus, de peur que leur activité soit associée à des pratiques illégales. Une méfiance accrue envers la police est constatée, rendant l’accès à la justice et à la sécurité plus difficile pour cette population.
  • Le modèle abolitionniste complique les initiatives de prévention en stigmatisant le travail du sexe. En Suède, des études ont montré que les campagnes de santé publique, notamment en matière de VIH/Sida, sont moins efficaces lorsque les TdS travaillent dans la clandestinité.
  • Les lois abolitionnistes limitent les lieux et conditions dans lesquels les TdS peuvent travailler légalement. Cela les force souvent à dépendre d’intermédiaires pour continuer leur activité, soit tout l’inverse des intentions poursuivies par les régimes abolitionnistes.
  • Une analyse de NSWP critique le modèle nordique pour son incapacité à réduire la prostitution, tout en exacerbant les conditions précaires des TdS. Malgré ses intentions de protéger les individus, ce modèle est accusé d’alimenter leur marginalisation en criminalisant indirectement leur mode de subsistance.

Sans prouver par ailleurs de réduction significative de la traite aux fins d’exploitation sexuelle ou de la prostitution forcée.

A contrario, les pays réglementaristes comme la Suisse garantissent un cadre légal aux travailleursexs du sexe, leur permettant d’accéder à des protections sociales, à des soins de santé, à des droits-sociaux et à la justice en cas d’abus. En Suisse, les autorités ont réitéré à plusieurs reprises leur volonté de maintenir une approche réglementariste, reconnaissant que la décriminalisation du travail dans tous ses aspects favorise la dignité et la sécurité des personnes concernées.

Rappelons ici que les droits humains sont des droits inhérents à la personne humaine. Retirer à des êtres humains le droit de s’auto-déterminer et de consentir est donc une grave violation de leurs droits fondamentaux et de leurs libertés individuelles. Et il nous semble inadmissible qu’un évènement vienne promouvoir la remise en question de ces droits durement revendiqués par les travailleursexs du sexe en Suisse, qui se sont battuexs et qui continuent de se battre pour les faire reconnaitre.

Nous défendons une reconnaissance claire des droits des travailleursexs du sexe en Suisse et ailleurs. Cela inclut :

  • La décriminalisation complète du travail du sexe consenti.
  • La participation des TdS dans l’élaboration des lois qui les concernent.
  • Une distinction claire entre traite et travail volontaire, pour des politiques ciblées et efficaces, au même titre que tous les autres cas d’exploitation (on ne confond pas le travail d’agent de propreté avec l’exploitation domestique).

En soutenant une approche qui décriminalise tous les aspects du travail du sexe, nous défendons un monde où chaque personne peut exercer son activité en sécurité et sans stigmatisation, peu importe la nature de cette activité.

Enfin, nous avons beaucoup de respect pour les victimes d’exploitation sexuelle que nous soutenons et qui doivent pouvoir s’exprimer sur le sujet qui les concernent. Au même titre, les travailleursexs du sexe qui exercent leur activité de manière volontaire et sans coercition doivent pouvoir s’exprimer à leur tour, sans que leur parole et leur capacité de consentir ne soit remises en question. C’est pourquoi Aspasie sera présente lors de cet évènement afin de porter une autre voix que celle qui sera entendue lors de cette conférence.

Association Aspasie


[i] Swedish National Board of Health and Welfare (2007), Prostitution in Sweden 2007.

Le travail du sexe : une activité à haut risque, Mai 2016, Amnesty International Dodillet, Susanne and Petra Östergren, The Swedish Sex Purchase Act: Claimed Success and Documented Effects, Conference paper, 2011.

UN Special Rapporteur on the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable standard of physical and mental health, Anand Grover, A/HRC/14/20, Report to the Human Rights Council, April 27, 2010.
Danna, Daniela (2007), Report on the city of Stockholm, in Prostitution and Public Life in Four European Capitals, Daniela Danna, editor, Carocci.

 Que pensent les travailleur.se.s du sexe de la loi prostitution ? Enquête sur l’impact de la loi du 13 avril 2016 contre le « système prostitutionnel », Médecin du Monde, 2018.

Une loi qui criminalise les clients en suède: un fiasco en ingénierie sociale, Ann Jordan.

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